L’impossible façonnage
Il était une fois, un jeune forgeron, dont l’habileté était si époustouflante, si grande, que lorsqu’il s’installa dans le village, il devint connu de tous. Il était doué de ses mains et son expérience acquise de son père, qui le formait depuis petit, lui permit de réaliser de surprenantes et splendides œuvres.
Malheureusement, la célébrité le rendit vaniteux et avare de ses richesses accumulées, comme un vieux dragon veillant sur son trésor. Il ne cessait de se pavaner, de se vanter que rien ne lui était impossible. Alors, les gens affluèrent avec toutes sortes de demandes différentes des une des autres. On lui demanda une bague de mariage ; qu’il réalisa avec tant de finesse et beauté, que le soleil, si admiratif, s’y reflétait même dans l’ombre.
On lui demanda une statue en fer en hommage à quelqu’un. Il la réalisa avec tant de détails et de justesse, qu’on croirait que la personne elle-même, était bel et bien là. Il acceptait toutes les demandes sans exception, afin que sa richesse s’accroît suffisamment, afin de lui permettre d’acheter le château dont il a toujours rêvé et des domestiques pour le servir, ainsi que la somme d’argent nécessaire lui permettant de vivre jusqu’à la fin de ses jours dans le confort et l’abondance.
Ce jour vint. Il réalisa sa dernière commande et constata qu’il avait atteint la fortune tant espérée. A cet instant, une vieille femme vint à la porte de son atelier. Elle était rabougrie et maigre comme le piètre bâton qui la maintenait debout. Lorsque le jeune forgeron l’aperçu, il parut écœuré et indigné de voir que cette souillon ose pénétrer sa demeure. Celle-ci s’avança et lui demanda une simple réalisation.
Le jeune homme devait fabriquer un quelconque sceptre d’alliage métallique, orné d’une obsidienne, si noire que la lumière la fuyait. Mais satisfait de sa richesse et ne voulant pas travailler pour une pauvresse, le jeune forgeron refusa. Aussitôt, la dame en haillon révéla sa véritable forme, lui susurrant que si devant tant de simplicité, il ne pouvait rien faire… Alors, que ferait-il devant l’impossible ?
L’obscurité s’abattît aux alentours de l’atelier telle une menace approchant dangereusement. La vieille femme était en réalité une enchanteresse vengeresse qui maudite, depuis des années, avait fini par user de la magie obsidienne (noire). Le forgeron, prit au dépourvu, en resta figé de même que le silence qui y régnait, comme si les bruits cherchaient à échapper à l’onde maléfique émanant de l’enchanteresse. Cette dernière, furieuse de ce refus, jeta un sort au forgeron hagard.
L’ingrat se retrouva dans un lieu vide, dépourvu de toutes choses, aucun meuble, aucune fenêtre : une pièce morne et terne à l’image de sa froide solitude. Il y avait une seule particularité : les murs étaient de fer, matière impossible à déformer sans chaleur. Il passa des secondes, des minutes, des heures, peut-être même des jours sans qu’il n’entende que deux choses : ses battements de cœur qui le rappelaient qu’il était bien vivant et… un son semblable à celui, qui a bercé son enfance, formé son existence, battit ses rêves… Le doux son commun du crépitement du feu… Ce son était faible, si léger, si lointain…
Mais il l’avait entendu si souvent, que cela faisait presque partie de lui. A cet instant, il se rendit compte qu’il avait oublié l’essentiel, le bonheur de la simplicité que son enrichissement avait peu à peu envahi et remplacé. Tout à coup, apparut l’enchanteresse ! Elle portait une robe enflammée dégageant tant de chaleur qu’un léger feu apparut à ses pieds. La jeune femme lui dévoila qu’il se trouvait dans un lieu coupé de tout mais où le temps s’écoule, qu’il ne mourrait pas tant qu’il n’aurait pas réussi à s’évader de cette prison ferreuse de néant.
Elle lui annonça qu’il devrait résoudre ce qui l’amena ici, lui comme elle. Face à ces révélations, le forgeron désespéra et sombra dans un profond sommeil où son rêve devint crépitement se métamorphosant en flamme, puis en feu, prit des airs d’incendie et se transforma en un brasier dévoreur.
A son réveil, le feu laissé par la robe enflammée crépitait toujours… Ces petites flammes avaient résisté comme une lueur d’espoir. Alors le forgeron, sans hésitations, saisit le feu à mains nues. Cette petite lueur s’accrût, reprit vigueur de même que l’espoir du jeune homme, lui qui ne ressentait ni la douleur des brûlures, ni la chaleur grandissante. Il s’approcha des parois de fer et y déposa les flammes grandissantes.
Il veilla chaque instant, chaque moment jusqu’à ce que la paroi rougisse entièrement et commença à la façonner avec les outils qu’il portait toujours sur lui. En débutant son œuvre, il pensa à toutes les choses qui l’avaient mené jusqu’ici et auxquelles il était passé à côté… Cependant, au lieu de former tout simplement un trou pour s’échapper, il se mit à dessiner, façonner avec passion ; des oiseaux, des fleurs,… Un paysage qui prenait vie, dont au centre de l’attention : une ravissante jeune femme aux traits fins et élégants. Elle portait une robe de dentelle où découlait une ribambelle de fleurs formant de magnifiques cœurs, appelées communément “cœur de Marie”.
Derrière les parois de sa prison, reposait un feu… Non… Plutôt, un cœur battant frénétiquement au son d’une flamme, d’un son léger, presque inaudible… Le forgeron, de ses mains rougies par le feu passionnel, les posa sur ce cœur d’acier qui fondit à ce contact. Soudain, l’enchanteresse se matérialisa près de lui. Le ferronnier tomba des nues, lorsqu’il s’aperçût que celle-ci était l’incarnation même de son œuvre. La ressemblance était frappante ; les cheveux en cascades, la robe fleurie de cœurs… Elle lui révéla avec un inhabituel mais sincère bonheur : “Merci à toi forgeron, de m’avoir libérée de ma malédiction !
J’étais condamné à chercher un homme dont l’habileté perforerait mon cœur d’acier sans haine, ni désespoir mais avec passion, amour et… qui ranimerait l’amour que j’ai oublié de vivre. Mon nom est Marie. En gratitude de ton acte, je t’offre château, domestiques et assez d’argent pour que tu puisses vivre dans l’abondance et le confort jusqu’à la fin de tes jours !” Le jeune homme prit de court par tant de beauté, de confessions, de bonté se rappela ce qu’il avait manqué au cours de ces années, lui aussi ; cette chose essentielle : l’amour. Ainsi, il refusa ces présents rêveurs, et demanda Marie en mariage qui accepta. Ils vécurent heureux dans l’amour et la simplicité jusqu’à la fin des temps sans plus aucune malédiction et cupidité.
Comme quoi, richesse et chance ne font pas notre bonheur mais l’amour et le rappel de l’essentiel apportent une existence pleine de joies.